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MOTIV(é)R #2

Soumis par Alain Vanderbeke le

J’ai toujours été un peu « décalé ». Déjà à 15 ans, mes camarades m’affublaient du totem « muntjac solitaire », après m’avoir trouvé à minuit au coin du feu, les yeux dans les étoiles. Il était donc évident pour moi que ma vie professionnelle serait totalement détachée de toute règle hiérarchique. Évidemment, la réalité fut toute autre car la hiérarchie est présente partout, même là où on ne la voudrait pas.
Il n’empêche que, longtemps j’ai gardé cette conviction que la liberté était incompatible avec le statut de salarié.


Travaillant beaucoup dans des domaines artistiques, je côtoyais principalement d'autres indépendants qui partageaient ce tempérament ostensiblement anarchiste, confirmant de manière artificielle mes croyances et m’enfermant dans ce sentiment de quasi pitié vis-à-vis du salarié, telle une « espèce protégée »  vivant sous le joug d’un maître, par nature machiavélique, prenant plaisir à brandir le licenciement à chaque fois que son pouvoir était remis en cause.


Ma première expérience réelle et durable de collaboration au sein d’une équipe mixte salariés-indépendants, s’est produite plus de 10 ans après le début de ma vie professionnelle. C’est dire le choc d’une telle découverte.
J’étais responsable de projet pour une agence digitale et, à ce titre, je côtoyais quotidiennement ces « individus étranges », en tout point semblables à moi, mais pourtant mus par des motivations totalement différentes:

  • retrouver ses collègues et partager les anecdotes de sa vie
  • épargner pour une maison et avoir des enfants
  • séparer la vie professionnelle et la vie de famille
  • etc.


Je plaisante, je force le trait... à peine. Car le décalage n’était pas tant dans la relation que nous avions, que dans le modèle managérial que j’appliquais avec mes équipes.


J'avais donc pris l'habitude de considérer chacun responsable personnellement de la qualité et du délai de livraison de son travail. Négocié en amont avec chacun, je ne considérais pas avoir à postposer une livraison à mon client. C’était bien à eux à s’organiser, et si besoin, à travailler de nuit et le week-end pour remplir leurs engagements.
Je travaillais avec mes équipes comme avec des fournisseurs indépendants. Cette méthode était d'ailleurs confirmée par la direction qui m'avait gentiment mais fermement exposé son point de vue : « celui-là, il n'a qu'à travailler la nuit. Et tu peux lui dire que si ça lui pose un problème, il y en a 20 qui attendent pour prendre sa place. »
Là, sans doute, voyez-vous poindre l'orage qui allait s'abattre sur moi. Ce fut le cas quelques jours plus tard. Telle une procession dans les rues de Pampelune, femmes en tête, le cortège des salariés est venu accoster mon bureau, sourire aux lèvres mais poings fermés.
Je peux vous assurer que cet événement fut suffisamment intense et déstabilisant pour être le déclencheur de la profonde remise en question qui en suivi.


« Donner le pouvoir à un marginal et vous obtiendrez un tyran » -- auteur inconnu mais très certainement un sénateur romain du début de notre ère (lol)


Quelques années plus tard, c'est moi qui subissais la domination d'un manager toxique. Trop rapidement qualifié de pervers narcissique, il était simplement inadapté à la gestion d’êtres humains.
Son éducation sans doute, son érudition très certainement, et son plaisir à définir des processus sans aucun doute, tout concordait à creuser le profond fossé de l'incompréhension entre lui et son équipe. Et ce n'est rien de dire que celle-ci devenait totalement démotivée et très en colère. Elle était perpétuellement coincée dans cet double contrainte :

  • imaginer et appliquer des solutions originales et efficientes à la réalisation de la tâche,
  • suivre des procédures purement théoriques et donc totalement décorrélées de la réalité du terrain.

« Pour faire tomber un manager, faites ce qu’il vous dit » -- auteur totalement inconnu mais plutôt intéressant.
Et nos appels incessants vers la direction ne produisaient que quelques remontrances rapides d’où nous revenait un homme étonné et déçu du peu de considération que l'on portait à son engagement et à son dévouement.